Dear Hmadness readers,
Two articles from the collective volume Écrire le huis clos au XIXe siècle, edited by Céline Brossillon and Emma Burston, might be of interest to you.
Please find below the summaries of these two contributions, which were submitted to us by the two authors.
- Anouk Cape avec « Le fou littéraire ou la rencontre impossible » (p.149-164)
Qu’est-ce qu’un fou littéraire ?
Si les textes excentriques, saugrenus, situés dans un entre-deux, voire un entre-trois au
confluent de la littérature, du délire et de la science, sont dédaignés des manuels et du canon, ils font depuis bientôt deux siècles les délices d’amateurs du bizarre, du hors-norme, de l’inclassable. Ces écrits sont dus à des auteurs non professionnels -et en cela les problématiques qu’ils soulèvent sont bien proches de celles de l’art brut. Il est malaisé d’en proposer une définition générique, tout au plus peut-on souligner qu’ils n’appartiennent pas
tout à fait à la littérature. Et bien que fréquemment écrits sous l’influence de troubles mentaux, quelque-chose, en eux – mais quoi ? – déborde le champ du pathologique et requiert une autre lecture.
Le syntagme « fou littéraire » fait-il référence à un caractère, à un type pathologique susceptible de produire un certain type d’écrits ? Doit-on le considérer comme un concept ? Définit-il un genre, dont il conviendrait alors d’identifier les caractéristiques, formelles,
esthétiques ? Qui s’est intéressé aux fous littéraires, aura buté tour à tour sur chacune de ces propositions.
On s’en sort, le plus souvent, par une patiente étude historique, soulignant l’élasticité et l’historicité des frontières du littéraire en lien avec le social. Qu’ils en restreignent ou en élargissent l’extension ces travaux, qui ont eu le mérite d’imposer des textes le plus souvent inconnus dans le champ culturel et universitaire, se heurtent cependant de manière
répétitive à l’impossibilité de circonscrire leur objet par une définition catégorielle rigoureuse. On ajoute donc régulièrement un nouveau fou littéraire au corpus, dont on aménage et discute ainsi, au fur et à mesure, les contours. Cette difficulté, loin d’être imputable à un problème d’insuffisance de critère, semble constitutive, propre à son objet. Comment en effet trouver le point de jonction permettant de discerner l’unité sous-jacente à des écrits aussi hétérogènes, traversant les époques, les genres, les thèmes, les styles ? Ces impasses nous permettent peut-être de repérer une voie de dégagement d’inspiration pragmatique : il s’agirait de tenter une approche de ces textes par le mode de lecture qu’ils commandent.
Le fou littéraire, dès lors, apparait comme celui dont l’œuvre écrite ne peut pas être reçue telle qu’elle a été conçue. Il émerge comme une silhouette sur fond de solitude, d’isolement maintenu paradoxalement au sein même de l’acte de diffusion, de la tentative de communication. La folie littéraire peut alors apparaître pour ce qu’elle est : non tant un genre, qu’un mode de réception fondé sur l’écart radical entre l’intentionnalité de l’auteur et sa réception possible par le lecteur.
Un apparent contre-exemple, celui de Jean-Pierre Brisset, couronné par mascarade « Prince des penseurs » en 1913, et dont l’œuvre fut en son temps célébrée par certains auteurs des plus reconnus, mène alors à interroger à de nouveaux frais l’isolement paradoxal dans lequel son auteur se trouva confiné.
- Solange Lapeyrière avec « Ecrits et cris de femmes internées à l’asile » (p.59 à 77)
On entend ces cris en lisant les lettres écrites par des femmes internées entre 1900 et 1914. Elles sont conservées dans leurs dossiers et sont abordables dans les archives des asiles. Ces courriers ont été relevés dans quatre asiles.
Lettres envoyées à leurs pères, maris, frères. Conservées dans les archives, elles ne sont jamais parties de l’asile, elles ont été censurées, elles n’ont pas reçu de réponse.
Lettres adressées au médecin de l’asile, donc normalement conservées dans les dossiers médicaux et administratifs.
Avec leurs mots et les mots de leur époque, elles s’adressent à leurs pères, leurs maris, leur frère… Elles écrivent leur plainte, leur demande de soin et d’écoute, leur appel au secours, avec une lucidité incroyable. Dans une lettre à son ami, l’une d’elle traite son médecin de « bloc de marbre », « d’assassin moral », « d’aliéniste aliéné » de « monstre » et tout cela dans des phrases élégantes et bien tournées.
Aux médecins, elles demandent leur sortie avec insistance et reviennent à la charge de mois en mois. Je suis très mécontente de vous car vous me croyez pas, vous me prenez pour une menteuse et une folle, je ne suis ni l’une, ni l’autre (…)
Parlez si vous pouvez faire quelque chose pour moi, sinon soyez assez honnête pour me le dire et si vous n’y pouvez rien, ne pas mettre un obstacle à ma sortie, (…)
… Comme ces dames ferment les portes tout de suite que vous êtes rentré au bureau ne pouvant vous parler, ne pouvant pas du tout vous voir, je me permets de vous écrire une troisième fois (…) je n’ai reçu aucune réponse. Je vous envoi encore ces deux mots pour vous demander ma sortie (…). Alors Monsieur le Docteur j’attends de suite ma réponse
Contrairement à nous qui croyons à leur enfermement sans fin, il est intéressant de lire leur détermination et leur croyance que c’était possible de communiquer et de sortir.
Ce ne sont pas des récits de soi, ni des écrits de femmes isolées. Ce sont des textes adressés à des personnes, avec la volonté de maintenir le lien et d’agir.
De véritables pépites d’humanité.
Si on y ajoute les courriers qu’elles recevaient, et les lettres encore plus nombreuses que leurs familles adressaient aux médecins, cet article ouvre la voie aux traces, même minimes, des interactions qui se produisaient dans les asiles. Un éclairage peu abordé de ce qui se passait parfois dans ces lieux si fermés et encore méconnus.