Le dernier numéro de la Revue philosophique (2016/4), dirigé par Jacqueline Carroy, Wolf Feuerhahn, Régine Plas et Thibaud Trochu, est consacré à Théodule Ribot (1839-1916) qui fut le fondateur et le directeur de cette revue.
À distance de toute commémoration, ce volume considère Ribot comme un entrepreneur intellectuel aux activités variées. Il propose d’explorer des facettes actuellement moins connues de ses travaux : introducteur de la médecine mentale comme des idées et des recherches germaniques et anglo-saxonnes dans la philosophie et la psychologie françaises, Ribot publie sur Schopenhauer, se confronte à Stuart Mill, s’intéresse au sens du corps et à l’affectivité. Sa place centrale comme directeur de revue puis titulaire d’une chaire de psychologie expérimentale et comparée au Collège de France s’inscrit dans le contexte de la transformation profonde du monde universitaire de la IIIe République, de l’affirmation d’une discipline psychologique voulant rompre avec la philosophie spiritualiste comme avec le positivisme, de la reconfiguration des sciences morales et d’une transformation des relations intellectuelles internationales. Ce dossier contient l’édition critique de nombreuses lettres inédites qui dessinent à la fois des autoportraits de Ribot en correspondant et un portrait de la vie académique et culturelle de l’époque. Il est enfin complété par une bibliographie.Sommaire
Articles
Cette introduction présente Ribot comme un « entrepreneur intellectuel », dans le contexte de son époque. Ses différentes carrières et entreprises sont successivement détaillées et analysées. Introducteur en France dans les années 1870 des psychologies anglaises et allemandes, Ribot se présente comme ni positiviste ni spiritualiste. Il se situe au centre de la discipline philosophique en créant la Revue philosophique, qu’il dirige jusqu’à sa mort, en 1916, et qui constitue pour lui un ancrage cardinal. Sans être médecin, il donne à la psychologie française une orientation pathologique dans les années 1880. Après 1890, il entreprend de développer une psychologie de l’affectivité. La réussite institutionnelle de Ribot, qui devient en 1888 professeur au Collège de France, s’accompagne de sa réception par un plus large public, dont témoignent les multiples rééditions et traductions de ses ouvrages.Ribot et la « demi-métaphysique » de Schopenhauer
À la parution de La Philosophie de Schopenhauer, en 1874, Ribot était déjà connu comme l’auteur de deux ouvrages qui l’avaient situé dans le champ philosophique français comme le promoteur d’une psychologie « positive » évolutionniste et un adversaire de toute métaphysique prétendant à la scientificité. Rien ne semblait le prédisposer à s’intéresser à Schopenhauer, dont la philosophie commençait seulement d’être introduite en France. De fait, cet ouvrage surprit les commentateurs, dont les recensions ne furent guère élogieuses. Il apparaît cependant que la lecture de Schopenhauer a incité Ribot à tempérer son credo évolutionniste et qu’elle est une des sources de la psychologie des sentiments qu’il développa à partir du début des années 1890. Ainsi, loin d’être marginale dans l’œuvre de Ribot, sa lecture de Schopenhauer a contribué à l’élaboration de la partie la plus innovante de sa psychologie.De la Sorbonne au Collège de France, Enjeux du titre des chaires de Ribot
À l’échelle de deux ans, 1885-1887, et à quelques mètres de distance, Ribot voit le titre de ses enseignements modifié : la rue Saint-Jacques traversée, il n’enseigne plus la « psychologie expérimentale », mais la « psychologie expérimentale et comparée ». Ce changement d’allure mineure suscita une importante controverse aux enjeux théoriques, institutionnels et de personnes. L’expression « psychologie comparée » fut au cœur des débats. Charles Lévêque, figure centrale de l’Institut, la mobilisait contre l’évolutionnisme ; Ribot la redéfinit pour en faire un vecteur de son introduction en France. L’ambition méthodologique de cette analyse est de montrer l’intérêt d’enquêter sur les relations entre les dynamiques propres aux lieux de savoirs et le choix des étiquetages savants.Mill, Ribot et la science du caractère
Infatigable promoteur d’une psychologie « nouvelle », Théodule Ribot a trouvé dans le projet éthologique de John Stuart Mill des arguments confortant sa propre conception de l’architectonique des sciences de l’esprit ; mais cette reprise du programme millien d’une « science des lois de formation du caractère » s’est aussi opérée dans le cadre d’un débat plus général sur les parts respectives de la « nature » et de la « culture » dans la détermination et la manifestation des aptitudes mentales humaines. Comme on le voit de manière exemplaire chez Ribot, cette réception française de l’éthologie s’est distinguée par une focalisation résolue sur les déterminants biologiques du caractère, qui tranche radicalement avec l’« artificialisme » psychologique de Mill et son insistance sur la « pliabilité de la nature humaine ».Ribot et le « sens du corps »
En mettant le corps, plutôt que la conscience, au centre de l’objet de la psychologie, Ribot s’inscrit dans le prolongement de travaux issus de la physiologie et de la pathologie du xix e siècle pour élaborer la notion de « sens du corps » comme fondement de l’unité du moi. Cette notion devait connaître un important développement au xx e siècle en psychologie et en psychanalyse.
Notes et documentsRéférences bibliographiques du fascicule
Pour plus d’informations : https://www.cairn.info/revue-philosophique-2016-4.htm