Le dernier numéro du Mouvement social contient au moins trois articles qui devraient intéresser les lecteurs de h-madness:
Vers un désenclavement de l’histoire de la psychiatrie, Isabelle von Bueltzingsloewen
Éliminer ou récupérer ? L’armée française face aux fous du début du XXe siècle à la Grande Guerre, Marie Derrien
Entre 1914 et 1918, l’armée française a mobilisé plus de huit millions d’hommes. Persuadée que la question des effectifs était cruciale, elle s’est efforcée d’incorporer le plus de combattants possible, rendant les conseils de révision moins sélectifs, récupérant des individus exemptés ou réformés, et renvoyant des soldats au front après une blessure ou une maladie. Elle s’est alors trouvée confrontée à un problème auquel elle s’était peu préparée, mais qui avait pris de l’ampleur avec l’universalisation du service militaire au début du XXe siècle : que faire des hommes atteints de troubles mentaux ? Fallait-il les éliminer des rangs ? Cet article présente les différentes réponses apportées à ces questions par l’armée et les psychiatres depuis le début du XXe siècle et, en particulier, au cours de la guerre.
« Le Mur lui est monté à la tête ». Construction du mur de Berlin et basculement dans la maladie (Berlin-Est, 1961-1968), par Fanny Le Bonhomme
Si plusieurs auteurs évoquent l’expression « maladie du Mur » (Mauerkrankheit) afin de désigner les réactions pathologiques survenues à la suite de la construction du mur de Berlin, aucune étude ne s’est encore penchée sur ses manifestations concrètes, ainsi que sur l’interprétation qui a pu en être faite par le savoir psychiatrique. C’est cette lacune que le présent article se propose de combler, en s’appuyant principalement sur l’analyse de dossiers psychiatriques et psychothérapeutiques de l’époque. Contenant les traces des expériences des patients, ces sources permettent d’interroger les modalités selon lesquelles le Mur est « entré dans les têtes », faisant basculer certains individus dans la sphère de la dépression, de l’angoisse ou de la folie. Dès les années 1960, le Mur se fait source de tristesse, de désarroi ou de peur, au point de donner naissance à l’expression de « maladie du Mur » qui en fait un élément pathogène, contredisant totalement la propagande menée par les autorités communistes. Si, dans le cadre de l’échange avec le thérapeute, les patients peuvent évoquer un sujet aussi sensible, leurs mots restent enfermés dans une logique de « circularité diagnostique ». Paradoxalement, c’est justement parce qu’ils sont perçus comme autant de signes d’une maladie mentale que les mots de ces individus – quelle que soit la dimension politique qu’ils renferment – peuvent laisser des traces dans le dossier médical. Grâce à cette source qui, tout en réduisant le sujet à son statut de malade, laisse entendre sa voix, l’historien peut avoir accès à des expériences personnelles d’ordinaire passées sous silence.